mercredi 23 mai 2012

Mission US, ou Comment Faire Comprendre un Evènement Historique grâce à un Jeu Vidéo


Dans la liste de mes projets utopiques se trouve en bonne position celui de créer un jeu pour aider à enseigner l'Histoire. Mais en creusant cette idée, je me suis souvent heurté à la problématique du choix :
Alors qu'un jeu est généralement basé sur les décisions du joueur et ses conséquences, comment donner des choix dans un contexte historique alors que l'Histoire est déjà écrite ?
C'est pourquoi j'ai été enthousiaste en découvrant le jeux vidéo pédagogique "Mission US" et sa manière de faire comprendre le début de la révolution américaine tout en contournant cette problématique. Pour cela, dans "Mission US", l'apprentissage ne se fait pas en manipulant des évènements historiques, mais en revivant les choix et les émotions d'individus anonymes qui ont vécu ces évènements.


La grande Histoire vu par les petites histoires

Pour moi, un jeu sérieux efficace se fonde généralement sur une simulation (plus ou moins visible) que le joueur va manipuler, et ainsi se créer un modèle mental du domaine à apprendre.

Le principal problème que j'entrevoyais avec un jeu sérieux situé dans le domaine "historique" était la contradiction entre le jeu devant offrir des choix ayant du sens au joueur et l'Histoire qui est déjà écrite. Donner au joueur la possibilité de modifier les évènements historiques signifait être capable de simuler des embranchements historiques. J'étais alors parti dans des réflexions du type "que se serait-il passé si Hitler avait été assassiné avant d'accéder au pouvoir ?". Nul va sans dire, j'étais dans une impasse.

Le jeu "Mission US" m'a débloqué grâce à son approche contournant cette problématique du choix. La solution n'est pas de simuler les liens entre évènements historiques mais de simuler la vie des individus anonymes qui ont subi ou participé en tant que groupe à ces évènements historiques. L'idée est de simuler non pas le niveau macro inscrit dans les livres d'Histoire mais le niveau micro qui à sa façon reflète le niveau macro.

Un peu comme une série télé, des personnages attachants mais aux points de vue différents.

En découvrant cette approche, je me suis rendu compte qu'elle collait à ma vision de l'enseignement de l'Histoire. En effet, de mon point de vue de simple citoyen, au delà des dates, comprendre l'Histoire signifie avant tout comprendre ce qu'ont vécu des individus dans un contexte, comprendre leurs motivations et le sens de leurs actions. A une compréhension rationnelle des situations historiques, il me semble utile d'adjoindre une compréhension émotionnelle et empathique. Evidemment, le but sous-jacent est d'éclairer nos propres actions et celles de nos contemporains, ainsi que leurs possibles conséquences.

Mission US : découvrir le début de la révolution américaine

Mission US (épisode 1) vise à faire découvrir les évènements de Boston en 1770, qui ont été à l'origine de la révolution américaine. C'est le moment où les colonies anglaises situées sur le continent américain ont déclaré leur indépendance face à l'empire anglais. Avant d'avoir joué à Mission US, je ne connaissais pas grand chose à ces évènements. Maintenant, j'ai l'impression d'avoir vraiment compris les enjeux qui s'y sont crystallisés.

Le jeu est gratuit, terminable en deux heures, et je vous conseille vivement de tester l'épisode 1. (L'épisode 2 porte sur l'esclavage et m'a paru moins bien réalisé). Sinon, attention, la suite de cet article risque de vous révéler plusieurs points de l'intrigue.

Voyons maintenant quelques caractéristiques de "Mission US" pour faire vivre et découvrir ces évènements de Boston.

Les choix d'une vie anonyme

Le joueur commence dans la peau d'un enfant vivant dans une ferme aux alentours de Boston. Celui-ci va devoir quitter ses parents pour s'installer dans cette grande ville pour apprendre un métier. Comme la colonie dans lequel il vit, il va devoir apprendre à s'émanciper.

Comme je le disais précédemment, les actions du joueur n'empêcheront jamais les évènements de Boston de se passer. Elles influenceront uniquement la vie du héros et ce qu'il découvrira du monde. D'ailleurs je ne devrais pas parler de "héros" mais juste de "personnage central", car le joueur sera un témoin privilégié des évènement et non un acteur décisif.

Plutôt que de bouleverser l'équilibre des camps (pro ou anti-indépendance), le joueur peut surtout choisir l'évolution de son personnage à travers ces différents camps. Ceci est particulièrement visible dans le dernier choix du joueur qui pourra choisir la voie "patriotique" en s'installant en Amérique ou alors de prendre le parti de la Couronne pour aller en Angleterre ou encore aucun des deux camps en s'embarquant comme marin libre.

Un monde non-manichéen à explorer

Un point important me semble être la neutralité du jeu à l'égard des différents point de vue. Alors qu'un jeu classique aurait pu caricaturer les gentils indépendantistes face aux méchants royalistes, Mission US brise ces clichés.

Par exemple, le joueur commence dans une imprimerie dans laquelle travaille un autre jeune apprenti, très impliqué dans le mouvement indépendantiste. Or ce jeune apprenti est moqueur et méprisant envers le héros. Ceci ne pousse pas à s'allier à sa cause. Au contraire, dans l'autre camp se trouve une séduisante jeune fille dont le père soutient pour la Couronne anglaise. Si le joueur désire mieux la connaître, il sera obliger de découvrir le point de vue royaliste.
Ce type de personnage ainsi que le système de quête forçant à se confronter aux deux camps, mettent durant tout le jeu le joueur dans un équilibre instable, obligé de naviguer entre des opinions opposées.

Des dialogues émotionnels

J'ai trouvé que les dialogues étaient un des principaux moyens qu'employait "Mission US" pour exprimer les sentiments, aussi bien ceux des personnages que du joueur.

La mécanique est basique : le personnage central peut souvent discuter avec d'autres personnages. Le joueur choisit alors les répliques de son personnage.

Les dialogues permettent d'expliciter son interprétation des évènements.


Tout d'abord, des voix sont enregistrées pour chaque dialogue et celles-ci sont bien interprétées. Alors que les dessins et animations sont très basiques,  la qualité des voix crée un attachement émotionnel fort avec les personnages du jeu.

De plus, la variété des répliques possibles permet souvent au joueur d'exprimer tout une gamme de sentiments  ou  d'avis différents. Ce choix permet alors au joueur d'expliciter son sentiment/interprétation sur les évènements qui se produisent autour du personnage central. D'un point de vue pédagogique, cette possibilité d'expression méta-cognitive me parait une piste prometteuse.

Enfin, en explicitant son sentiment ou opinion, le joueur permet au jeu de lui fournir des réponses particulièrement appropriées à travers les interlocuteurs. Par exemple, je me souviens très bien d'un dialogue avec un soldat anglais de garde dans une ruelle. Un jeune indépendantiste vient d'être tué par un soutien des anglais lors d'un mouvement de foule. J'exprime à travers le personnage central que je trouve ce meurtre odieux et que les troupes anglaises ne devraient pas être être là. Le soldat m'explique alors son point de vue à savoir que les indépendantistes ont poursuivi ce collaborateur des anglais jusqu'à chez lui. Celui-ci a paniqué et a tiré. Selon ce soldat, les chefs indépendantistes devraient mieux gérer les mouvements de foule qui dégénèrent. Sa réplique fut appropriée à mon état d'esprit partisan et m'a aidé à comprendre le point de vue des anglais qui tentaient de conserver l'ordre dans les colonies.
Dans "Mission US", le dialogue n'est pas une manière d'agir sur le monde par exemple en convaincant les interlocuteurs mais plutôt une manière de l'explorer notamment sur un plan émotionnel. Contrairement à un film ou à un roman, l'interactivité des dialogues permet alors au jeu de fournir des réponses pertinentes pour éclairer ou bousculer le jugement du joueur.

Absence de game over

La dernière caractéristique forte de "Mission US" me semble être l'absence de "game over" durant une partie. Je crois que ce choix de conception a un impact important sur la manière dont est vécu l'expérience.
D'un point de vue pédagogique, l'absence de "game over" permet de ne pas punir l'exploration. Il n'y a pas de mauvaises réponses, juste des découvertes.
D'un point de vue émotionnel, ne pas mettre de game over éloigne aussi des aspects défi et compétition de la majorité des jeux pour accentuer l'importance du ressenti et de la contemplation. Je ne peux alors m'empêcher de faire le rapprochement avec d'autres jeux sans "game over" comme "Heavy Rain" et "Journey"et qui désirent aussi explorer des enjeux narratifs ou contemplatifs.

Le joueur est mêlé à une manifestation qui tourne mal.


Conclusion

Le cinéma et la littérature ont trouvé depuis longtemps la manière de faire vivre des évènements historiques du point de vue des individus (cf. "Il faut sauver le soldat Ryan" ou "La bicyclette bleue"). Mission US me semble démontrer que le procédé peut être adapté efficacement aux jeux vidéo dans un but pédagogique, notamment en fixant les choix et les enjeux au niveau des individus témoins de ces évènements (et pas forcément des acteurs décisifs).

Enfin, pour la conception de jeux pédagogiques en général, "Mission US" m'a rappelé qu'un domaine de connaissance n'est pas uniquement un ensemble de concepts désincarnés mais inclut souvent une part émotionnelle à ne pas oublier de transmettre aux apprenants.




3 commentaires:

  1. "Ce n'est pas encore cette fois-ci que j'aurai réussi à rédiger un article court. Je m'aperçois aussi que je prends plaisir à décortiquer mon expérience du jeu mais que ceci n'est pas forcément intéressant pour le lecteur. Bon, mais si j'arrive à faire s'intéresser des gens au développement de jeux pour enseigner l'Histoire, ce sera déjà pas mal."

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  2. Salut Benjamin,

    Comme d'habitude moi je trouve cela intéressant !
    En effet, je réfléchissait moi-aussi à des jeux pour enseigner/transmettre la gestion de projet, etc. L'objectif étant de faire passer des bonnes pratiques.

    Or, je ne voyais rien d'autre que de faire recommencer le joueur jusqu'à ce qu'il fasse correctement. Tu m'ouvres donc une nouvelle voie.

    Entre-temps, j'ai/j'essaie/je vais essayer les "histoires dont vous êtes le héro". Mais du coup, ça pourrait être une "histoire dont vous êtes le témoin"... ;-)

    --
    a+
    Loïc

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  3. Coucou,

    C'est intéressant comme analyse... Ça me fait penser aussi aux MMORPG dans lesquels les actions du joueur n'ont en fait pas d'impact sur le déroulement général de l'histoire du monde (sauf peut être "The Old Republic" où le joueur est impliqué dans une histoire solo).

    Par contre je n'ai personnellement pas du tout accroché au jeu. Il m'a paru peu divertissant. Et du coup je n'ai pas tenu assez longtemps pour commencer à entrevoir les différentes façons de penser des différents camps.

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